Les cryptomonnaies sont-elles des valeurs purement spéculatives, émanation de l’évolution du monde digital ou portent-elles des attributs plus fondamentaux avec le potentiel de révolutionner à terme le marché des devises, les systèmes bancaires traditionnels, les méthodes de paiements ? Quel sera le rôle que s’octroieront les banques centrales ? Aucun acteur crédible ne peut maintenant tourner le dos à l’émergence de cette technologie numérique qui permet à la fois de créer de la monnaie et de gérer des transactions financières.

Une cryptomonnaie est une monnaie digitale et virtuelle, utilisée pour des transactions entre utilisateurs, membres d’un même réseau. À ce jour, les cryptodevises sont des initiatives privées, largement indépendantes des instances politiques et monétaires. Elles permettent de faire des transactions, à des coûts insignifiants, sans passer par le système bancaire actuel.

Le bitcoin, pionnier des cryptomonnaies, a été créé en 2009 et reste à ce jour, la devise digitale la plus utilisée avec 50 millions d’utilisateurs et une capitalisation équivalente à 350 milliards de dollars. Les autorités de marché ne reconnaissent pas le bitcoin comme une devise, mais comme un cryptoactif dont la valeur permet des échanges commerciaux. Le bitcoin a fait nombre d’émules dont le réseau Ethereum : une plateforme partagée par plus de 1500 cryptomonnaies réunies autour d’une même technologie.

Le Libra, aujourd’hui rebaptisé Diem, est une initiative de Facebook, en partenariat avec 28 acteurs du monde financier et digital, et qui offre le potentiel d’être utilisée par plus de 2 milliards de personnes, représentée par la communauté Facebook. Au contraire de ses prédécesseurs, la valeur du libra est adossée à un panier de 5 devises existantes. Son cours devrait donc être assez stable : on parle d’une deuxième génération de monnaie digitale sous le vocable de stable coin. L’émergence de cette nouvelle devise mondiale aura eu pour effet de réveiller, partout dans le monde, les autorités financières et les banques centrales.

Investissement

La valeur d’une cryptomonnaie est flottante par rapport aux devises et est fonction de l’offre et la demande sur le marché des changes. Le succès étant au rendez-vous, le bitcoin a connu une croissance spectaculaire multipliant sa valeur par un facteur de 100000 en 10 ans (0.15 dollar/btc en 2010 pour 15 000 dollars/btc en 2020). Tout le monde ne s’est pas enrichi pour autant car le chemin a été tumultueux, fait de haut et de bas. La volatilité est une maladie de jeunesse, selon Jonathan Gross (1) : “La croissance du nombre d’utilisateurs et l’atomisation du marché atténueront à terme l’impact des gros détenteurs”. De nos jours, le bitcoin est essentiellement une valeur d’investissement : les investisseurs achètent, mettent en portefeuille et spéculent à la hausse. Les cryptomonnaies, pour devenir de véritables moyens de paiement, devront se départir de ce côté spéculatif, s’affirmer comme instrument économique et stabiliser leur taux de change.

Les banques et la Banque centrale

Les cryptomonnaies ont le potentiel de simplifier et diviser les coûts des transactions financières de manière significative ; à ce titre ces nouvelles plateformes se positionnent comme concurrentes des banques et des sociétés de cartes de crédit. Mais les banques, elles-mêmes ont bien compris le potentiel de cette technologie pour faciliter les transferts internationaux, simplifier les compensations interbancaires, apporter de la transparence, réduire les fraudes, et réduire les coûts d’infrastructure. Il leur faudra repenser leur métier en fonction de la manière dont elles vont intégrer cette révolution technologique dans leurs activités.

Le potentiel des cryptomonnaies n’échappe pas non plus aux banques centrales. Les monnaies digitales ont cette capacité de créer de l’argent, de mettre en circulation de nouvelles devises, et par là même de modifier la masse monétaire. La Banque centrale européenne a bien compris le défi en mettant à l’étude un euro numérique, corrélé à l’euro monétaire ; une devise numérique d’état constituant donc une troisième génération de cryptomonnaie. La Chine est le pays le plus avancé en la matière : la banque centrale chinoise est la première à annoncer sa cryptomonnaie, le Yuan numérique, développé en collaboration avec les géants du web chinois. Des pays comme la Russie, le Japon et la Suède sont en phase exploratoire avancée.

Quelle monnaie pour quel futur ?

L’évolution de la société crée un environnement favorable au développement des devises numériques : génération millenium, croissance du commerce digital, recul du cash, remise en question des intermédiaires, internationalisation des échanges, intérêt pour une devise supranationale. Si la première génération des cryptomonnaies n’a pu échapper à un contenu spéculatif important, l’adoption plus large et l’évolution de la technologie engendreront une nouvelle génération de devises digitales plus stables, connectées à l’économie des biens et services et aux devises nationales. Ces nouvelles devises digitales stables, liées aux banques centrales, devraient accroître l’instabilité des cryptomonnaies privées en les concurrençant sur les attributs qui en font leur valeur.