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La crise de la gouvernance foncière au Sénégal : causes, conséquences et pistes de solutions

23/07/2020
Source : Le Soleil
Catégories: Taux

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Mbane, Fanaye, Ndiaël, Diokoul, Dodel, hier et aujourd’hui, littoral de Dakar, Madina Wandifa ou Ndengler ; voilà un échantillon des nombreux conflits fonciers qui, par leur gravité, ont marqué notre pays durant ces dernières années. Monsieur le Président de la République en personne révélait au Sénégalais, il y a de cela quelques mois, que plus de 90 % des alertes de conflit qu’il recevait étaient liées au foncier. La première autorité de notre pays reconnaît que le foncier est devenu l’un des plus sérieux facteurs de troubles à l’ordre public auquel notre pays est confronté.

Or, Le Sénégal s’est doté, depuis les premières années de notre indépendance, d’une législation foncière qui ambitionnait, tout en se conformant aux orientations politiques alors en vigueur (socialisme), de constituer un cadre pertinent pour la promotion du développement économique et social du pays. Cette législation, à l’épreuve du temps et des évolutions sociopolitiques de notre pays, a révélé des limites qui ont suscité des défiances à son endroit.

Parmi ces limites, on peut noter qu’elle n’est pas parvenue, comme ambitionné, à se substituer au système traditionnel de gestion des terres qui reste encore très prégnant dans beaucoup de zones, s’est révélée inopérante dans certaines de ses dispositions, ne constitue pas un cadre juridique et institutionnel performant de promotion des investissements dans l’agriculture, tout en sauvegardant les intérêts des populations, de manière générale, et des petits producteurs, en particulier, génère beaucoup de conflits, parfois sanglants, et constitue un facteur sérieux de troubles sociaux.

Que s’est-il passé pour que l’on arrive à cette situation ? Quelles sont les conséquences de cette crise sur le climat social de notre pays et sur notre économie ? Et, enfin, quelles solutions durables seraient envisageables pour endiguer le mal ?

I : Les sources de la crise de la gouvernance foncière

Nous entendons, à la suite de l’Ipar (Initiative, prospective agricole), la gouvernance foncière comme étant le système composé des « Structures politiques et administratives et processus par lesquels les décisions relatives à l’accès et à l’utilisation des ressources foncières sont prises et exécutées, y compris la façon dont les conflits fonciers sont réglés ».

Par ailleurs, nous centrerons nos développements sur la gestion des terres du domaine national tel que défini par la loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national, c’est-à-dire toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées, et dont la propriété n’a pas été transcrite à la Conservation des hypothèques à la date d’entrée en vigueur de la loi. Elles sont classées en quatre catégories distinctes :

-zones urbaines ;

-zones classées ;

-zones des terroirs ;

-zones pionnières.

La pertinence de cette classification nous interpelle d’ailleurs aujourd’hui.

I : Les causes de la crise

1.1 Un cadre juridique défaillant

La gouvernance foncière du Sénégal souffre d’un cadre juridique défaillant et régulièrement violé. Madame le Professeur Amsatou Sidibé, dans la revue du conseil économique et social, paru en février 1997, a défini l’esprit de la loi sur le domaine national en ces termes : « La loi de 1964 portant domaine national est un droit de synthèse original poursuivant deux objectifs essentiels : la socialisation de la propriété foncière plus conforme à la tradition négro-africaine et le développement économique ». Elle rapporte ensuite l’affirmation du Président Senghor, parlant de la loi sur le Dn (domaine national). Selon ce dernier, il s’agissait de « revenir du droit romain au droit négro-africain, de la conception bourgeoise de la propriété foncière à la conception socialiste qui est celle de l’Afrique noire traditionnelle ».

Force est de constater que le contexte sociopolitique de l’édiction de la loi sur le Dn a changé. Les deux derniers régimes du Sénégal n’ont pas caché leur option libérale. Ils ont, par ailleurs, installé l’agriculture en pointe des priorités pour le développement du Sénégal. Or, précisément, des travaux tenus les 2 et 3 mai 2016 à Dakar dans le cadre de mise en place d’une plateforme de facilitation des investissements dans l’agriculture au Sénégal et qui regroupait agriculteurs, exploitants forestiers, pasteurs, éleveurs et banquiers ont abouti à la conclusion que la question foncière constitue un véritable obstacle pour le financement de l’agriculture sénégalaise.

Il semble donc que notre législation foncière qui date, pour l’essentiel, des premières années de notre indépendance, se trouve aujourd’hui en déphasage avec les orientations politiques de notre pays et les exigences de son développement en termes d’environnement institutionnel. Aussi, une conscience citoyenne de plus en plus aigüe est en train de se construire relativement aux aspects liés aux droits des citoyens sur les ressources naturelles, renforcée par la réforme constitutionnelle de 2016, à la protection de la nature et au développement durable. Le positionnement de la société civile sur ces questions amplifie ce phénomène dont la prise en compte par les autorités publiques devient incontournable.

Ceci entraînant peut-être cela, la loi sur le domaine national, en dépit de ses objectifs nobles, a été une remise en cause très brutale du régime foncier traditionnel. La volonté politique n’a pas suffi pour faire accepter cette réforme par une frange importante de la population. La loi sur le domaine national figure, sans doute, parmi les lois les plus décriées de notre histoire. En conséquence, les modes traditionnels de gestion du foncier demeurent.

L’étude sur l’élaboration de «critères et conditions pour une gouvernance foncière rationnelle et durable par zone éco-géographique au Sénégal», réalisée par l’Isra et l’Ensa, validée au mois de mars 2018, a révélé que le mode d’accès dominant au foncier reste l’héritage qui est banni par la législation foncière même si des dispositions favorables sont aménagées pour les héritiers dans la réaffectation des terres d’un affectataire décédé. L’emprunt et la location sont encore de mise, toujours selon cette étude, à côté de l’affectation. On note même dans les décisions des collectivités territoriales, une fréquente substitution de normes coutumières aux règles de droit positif. L’application de la législation foncière reste donc problématique dans notre pays.

1.2 Une formulation insuffisamment élaborée des textes

A ces maux s’ajoute une formulation pas suffisamment élaborée des textes. Les textes relatifs au domaine national et aux attributions des collectivités territoriales dans le domaine foncier contiennent des concepts qui ne sont pas suffisamment précis. Ce qui rend leur application difficile et ouvre la voie à des interprétations parfois abusives pouvant générer des conflits. Il est en ainsi des notions de «membre de la communauté», de «mise en valeur», de «capacité de mise en valeur» et «de terres de culture et de défrichement».

Nous avons été un peu surpris de ne pas entendre évoquées dans les débats sur l’affaire Ndengler, les dispositions de l’article 3 du décret 72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national comprises dans les communautés rurales, modifié, qui dispose, en son premier alinéa que « l’affectation peut être prononcée en faveur, soit d’un membre de la communauté, soit de plusieurs membres regroupés en association ou coopérative ». Notons tout de suite que cette disposition ne signifie nullement qu’une personne non membre de la communauté ne peut pas avoir accès au foncier dans celle-ci. Nous reviendrons sur la procédure prévue à cet effet.

1.3 Un inconfort juridique

Une autre limite importante de la législation foncière est relative au flou et l’inconfort juridique constatés depuis l’entrée en vigueur du Cgct. Ce fait découle de la non-adoption des décrets d’application du Cgct, mais également de l’absence de réforme du décret 72-1288 qui précise les modalités de mise en œuvre des compétences des collectivités territoriales en matière de gestion des terres du Dn. Le décret de 1972 concernait les terres sises dans les communautés rurales et était relatif aux compétences du conseil rural. Les communautés rurales ayant disparu, ce texte devrait être adapté à la nouvelle situation. Ce qui n’est pas encore le cas. Aucun texte ne régit donc aujourd’hui les compétences d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national des communes conférées par l’article 81 du Cgct.

Il faut également relever les germes de conflit entre les villes et les communes constituant ces villes à propos des compétences en matière de lotissement (art 81 et art 169). En effet, des dispositions des articles 81 et 169 du Cgct, il résulte que les compétences en matière de lotissement sont plutôt dévolues aux villes. Ce qui provoque des grincements de dents dans certaines localités.

1.4 Un défaut de maîtrise du capital foncier

Les collectivités territoriales sont également confrontées au défaut de maîtrise du patrimoine foncier En effet, toutes les communes du Sénégal, qu’elles soient « urbaines » ou « rurales », sont confrontées au problème de maîtrise de leur patrimoine foncier. A l’origine de ce phénomène, il faut d’abord noter le défaut de matérialisation des limites physiques des collectivités territoriales. Il est, dans ces conditions, très difficile, voire parfois impossible, d’identifier, avec précision, les terres qui relèvent de chaque collectivité territoriale. Ce qui renforce les risques de conflit foncier entre collectivités territoriales.

Il faut ajouter à cela, l’absence de planification de l’occupation des sols. Cette compétence relève pourtant de la commune. Consécutivement, peut-être, à l’absence de planification de l’occupation des sols, il n’existe pas de système d’information permettant de suivre les opérations de gestion foncière ainsi que l’évolution du patrimoine foncier des communes. Même le dossier et le registre foncier prévus par le décret 72-1288 du 27 octobre 1972, qui pourraient aider à cela, ont disparu de la plupart des collectivités territoriales ou ne sont pas à jour.

1.5 Des failles dans le contrôle des actes domaniaux

Un autre facteur important de génération de conflits foncier se trouve dans les failles du contrôle des actes domaniaux. Le développement des conflits fonciers est largement encouragé par l’inefficacité du contrôle administratif des actes domaniaux aussi bien au niveau des représentants de l’Etat auprès des collectivités territoriales, à savoir les préfets et sous-préfets, mais également au niveau des autres services déconcentrés impliqués dans les affaires domaniales.

L’effectivité du contrôle de légalité est souvent mise en cause de même que les implications de hautes autorités dans les décisions des CT et des R.E. Les arrêts rendus par la Cour suprême sur les contentieux relatifs au contrôle de légalité et aux actes des collectivités territoriales rendent suffisamment compte de ce que nous venons d’énoncer.

En effet, dans une très forte proportion, les délibérations des collectivités territoriales portées devant le juge administratif sont annulées, alors qu’elles avaient déjà reçu l’approbation du représentant de l’Etat. Or, le juge et le représentant de l’Etat ont, dans le cadre du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, la même mission, à savoir : la vérification de la conformité de l’acte de la collectivité territoriale à la loi. S’il y a un tel écart entre les positions des deux « contrôleurs », c’est qu’il y a manifestement problème quelque part.

II : Les conséquences

2.1 Une multiplication des conflits fonciers

Les nombreuses manifestations que nous enregistrons actuellement qui sont provoquées par une gestion foncière pas toujours satisfaisante sont des alertes sérieuses et peuvent dégénérer si nous n’y prenons garde. Elles traduisent, par endroits, des débordements de frustrations trop longtemps contenues. Les conséquences des conflits fonciers sont parfois très pernicieuses et affectent même les relations entre membres d’une même famille, d’un même village ou de villages voisins qui ont toujours vécu dans la paix parce que des mécanismes traditionnels permettaient de régler les conflits.

Dans cette optique, avons-nous le droit de réduire l’affaire de Ndengler et même d’autres, à un conflit entre mode traditionnel de gestion des terres et droit positif ? N’est-ce pas aussi une confrontation entre le droit et les droits ? Dans l’affaire de Ndengler et dans les autres affaires récentes, certaines parties ont exhibé des titres parfaitement légaux qui leur confèrent des droits. Qu’est-ce qui fonderaient alors les droits des contestataires ? L’attachement des populations à leurs terroirs ne peut être considéré comme un caprice. Il a des racines historiques, culturelles, économiques, sociales et même religieuses parfois.

Le terroir constitue un espace vital où les populations qui y vivent ont développé, depuis leurs ancêtres, les activités nécessaires à leur vie et à leur survie (agriculture, élevage, pêche, récolte de miel, de fruits, de feuilles et racines pour se soigner, trouver des matériaux pour construire leurs abris, etc.). Dire à ces populations qu’elles n’ont plus, au nom de la loi sur le domaine national, des droits sur ce terroir semble être un problème.

L’Etat du Sénégal ne s’y est trompé en proposant au peuple sénégalais, qui l’a adopté par référendum le 20 mars, une réforme constitutionnelle qui consacre les droits du peuple sénégalais sur les ressources naturelles en ces termes : « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables. L’Etat et les collectivités territoriales ont l’obligation de veiller à la préservation du patrimoine foncier ».

L’opérationnalisation de cette disposition constitutionnelle devra permettre de prévoir des mesures compensatoires à chaque fois qu’une portion du terroir devra changer de destination pour couvrir l’impact de ce changement dans la vie des populations concernées. Les formules qui le permettent doivent être initiées.

2.2 Le développement de la spéculation foncière

Les zones de terroirs, notamment celles limitrophes aux grandes villes, sont le thétre d’un développement fulgurant de la spéculation foncière. Des transactions foncières hors du cadre légal sont constatées. Des terres du domaine national sont vendues à des personnes nanties qui, sur la base d’un simple « acte de cession de peines et soins », obtiennent, des conseils municipaux, des délibérations. Les délibérations ainsi obtenues constituent les documents de base des demandes de titre foncier. Que dire d’un titre foncier obtenu dans ces conditions ? Cette pratique n’est rien d’autre que du « blanchiment de spéculation foncière » et les organes délibérants des collectivités territoriales, en même temps que les autorités chargées du contrôle des actes des collectivités territoriales, en sont les complices. Il faut rappeler, à ce propos, que l’article 3 du décret 72-1288 du 27 octobre 1972 proscrit toute transaction sur des terres du domaine national, notamment tout vente ou louage et que le code pénal, en son article 423, punit d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende ne pouvant être inférieure à 50 000 FCfa quiconque aura conclu ou tenté de conclure une convention ayant pour objet une telle terre.

Le développement de la spéculation foncière a fait naître une nouvelle race d’agents d’affaire que l’on nomme « les coxeurs fonciers » dont le métier est de rapprocher, contre rémunération, les potentiels acquéreurs avec des paysans dont la situation sociale pourrait les pousser à vendre leurs terres. Cette pratique, pourtant bien répandue dans certaines zones, est moralement condamnable et légalement répréhensible. Elle constitue le terreau fertile pour le développement de ce qui est connu sous le vocable de « l’accaparement de terres ». Celui-ci désigne l’acquisition controversée de grandes étendues de terres agricoles auprès des pays en développement, par des entreprises transnationales et gouvernementales (définition Wikipédia)

2.3 l’accès au foncier rendu difficile

Le Sénégal est un pays dont un pan important de l’économie repose sur l’agriculture. Or, l’agriculture ne se pratique pas entre le ciel et la terre mais bien sur terre. L’accès au foncier est donc un défi à relever pour le développement de l’agriculture et de toutes les infrastructures qui doivent accompagner ce développement. J’ai rappelé, plus haut, les conclusions des travaux tenus les 2 et 3 mai 2016, à Dakar dans le cadre de mise en place d’une plateforme de facilitation des investissements dans l’agriculture au Sénégal qui ont pointé la question foncière comme étant un véritable obstacle pour le financement de l’agriculture sénégalaise.

Lors d’une rencontre sur l’accès au foncier tenue à Saint-Louis, en 2016, un représentant des populations disait : « les populations du fleuve ont la phobie de l’agro-industrie ». Entre la nécessité de mettre le foncier à la disposition des investisseurs et la phobie que provoquent ces investisseurs au niveau des populations, il y a bien un fossé à combler. Voilà, à mon humble avis, l’enjeu de l’accès au foncier, parce que c’est là le nid des germes de beaucoup de conflits fonciers.

III : quelques axes de solutions

3.1 Réformer en profondeur

la législation foncière

Il résulte de ce qui précède qu’une réforme foncière profonde s’impose. Cette réforme devra être conçue de façon transparente et inclusive afin de promouvoir une gouvernance foncière « socialement acceptable, politiquement soutenable, économiquement rentable et écologiquement durable » (comme le soulignait Monsieur Cheik Omar, directeur exécutif de Ipar, dans une interview accordée à Sud Quotidien le 25/01/2016).

Monsieur le Président de la République, Macky Sall, avait, par décret n° 2012-1419 du 6 décembre 2012, mis en place une Commission nationale de réforme foncière (Cnrf) avec pour missions :

• de conduire toutes les études et recherches relatives à l’occupation du domaine de l’Etat et du domaine national ;

• d’analyser les textes législatifs et réglementaires en vigueur et de faire des propositions de modification ;

• d’identifier les contraintes et de mettre en place un cadre juridique et institutionnel attractif, offrant des garanties aux investisseurs et assurant la sécurité et la paix sociale, en vue d’une gestion rationnelle du domaine de l’Etat et du domaine national ;

• de proposer des solutions durables aux conflits fonciers résultant de l’occupation des domaines susvisés ;

• de proposer des mesures de mises en œuvre pour l’application de la loi n°2011-07 du 30 mars 2011 portant sur le régime de la propriété foncière (portant transformation des permis et autorisations d’occuper en titres fonciers) ;

• et, plus généralement, d’exécuter toutes missions qui lui sont confiées par le Président de la République.

La Cnrf a remis le 20 avril 2017, lors d’une séance spéciale, son rapport définitif au Chef de l’Etat. La suite réservée par les autorités à ce rapport est toujours attendue. Or, la résorption de la crise de la gouvernance foncière pourrait commencer par la mise en œuvre des propositions de cette Cnrf qui seraient jugées pertinentes et réalisables.

3.2 Inventer des formules nouvelles de partenariat

Le deuxième axe de recherche de solutions aux conflits fonciers pourrait concerner la recherche de formules de partenariat bénéfique pour tous, entre les populations et les collectivités territoriales, d’une part, et, d’autre part, les investisseurs, l’Etat jouant un rôle de facilitateur.

Pour cela, deux formules me paraissent intéressantes à explorer.

• Formule 1

– Les terres sont immatriculées par l’Etat et cédées à la collectivité territoriale. La finalité de la cession sera la mise à disposition de ces terres pour la réalisation d’un projet.

– La collectivité territoriale loue les terres cédées à l’investisseur pour, au moins, une durée permettant la rentabilisation des investissements.

– Le produit de la location sera destiné exclusivement à la réalisation d’infrastructures socio-économiques de base et à la promotion d’activités génératrices de revenu pour les populations. La délibération autorisant la signature du contrat de location le dira expressément.

– Le contrat de location devra prévoir un dispositif de transfert de technologies au profit des petits producteurs.

– À la fin du projet, les investissements fixes, comme la terre, restent la propriété de la collectivité territoriale

• Formule II

– Les terres sont immatriculées par l’Etat et cédées à la collectivité territoriale. La finalité de la cession sera d’utiliser la terre comme apport au capital de la société mise en place par l’investisseur.

– La collectivité territoriale est ainsi actionnaire de la société et participe aux organes dirigeants de celle-ci.

– Les dividendes perçus seront destinés exclusivement à la réalisation d’infrastructures socio-économiques de base et à la promotion d’activités génératrices de revenu pour les populations. La délibération autorisant la prise de participation au capital le dira expressément.

– À la liquidation de la société, la terre sera cédée en priorité à la collectivité territoriale.

Des formules de cette nature contribueraient à rassurer aussi bien les investisseurs que les populations et contribueraient à combler le gouffre que nous avons évoqué plus haut.

3.3 Retour à l’orthodoxie dans la mise en œuvre de la législation foncière

En attendant que les réformes espérées voient le jour, il faudrait que les autorités veillent à un retour à l’orthodoxie dans l’application de la législation foncière. L’impression qui se dégage, au regard des nombreux griefs formulés, est que les acteurs de la gouvernance foncière se sont installés dans l’illégalité. Les critères d’affectation des terres du domaine national, notamment celui de l’appartenance à la communauté, sont violés tous les jours et les autorités chargées du contrôle ferment les yeux en approuvant les délibérations affectant des terres à des personnes étrangères à la collectivité territoriale.

Concernant cette question précise, Monsieur Jean Colin, alors ministre de l’Intérieur, par la circulaire N° 4593/M.INT/DAGAT du 21 aout 1987, précisait ceci : « S’agissant de l’affectation des terres à des personnes non membres de la communauté rurale, le conseil rural, en l’état actuel de la réglementation, n’est pas compétent pour procéder à de telles affectations. Il convient dans de tels cas, surtout quand la demande d’affectation porte sur des superficies importantes, d’appliquer la procédure d’immatriculation prévue par les articles 30 à 39 du décret 64-573 du 30 juillet 1964. Le conseil rural n’est saisi dans ce cas que pour avis… ».

La régularisation des ventes de terres du domaine national, que nous avons appelé « blanchiment de la spéculation foncière », est une pratique courante qui n’émeut plus personne. La responsabilité des organes délibérants, qui prennent les décisions et du représentant de l’Etat qui approuve lesdites décisions, est fortement interpelée. Les techniciens qui sont souvent consultés pour avis ont également leurs responsabilités à assumer. Mais, la responsabilité des techniciens ne peut pas exempter les décideurs de la leur.

Pour faciliter une meilleure application de la législation foncière actuelle, tous les textes impactés par la loi 2013- 10 du 28 décembre 2013, portant Code général des Collectivités territoriales, doivent être mis à niveau, en particulier le décret 72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national comprises dans les communautés rurales.

En conclusion, la réforme en profondeur de notre législation foncière s’impose. Les modalités ou méthodes de cette réforme doivent être élaborées avec tout le sérieux requis compte tenu de la complexité de la matière et des enjeux en présence. La démarche devra être inclusive. Les termes de la réforme devront être compris et acceptés par toutes les parties prenantes. L’intérêt du Sénégal et de ses populations, en particulier des générations futures, devra être la norme ultime, tout en tenant compte des intérêts des divers partenaires impliqués. Le capital foncier du pays est le bien le plus précieux que nous avons, nous devons le sauvegarder.

«Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants.»


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