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Retrouvez toute l'information économique et financière sur notre application Orishas Direct à Télécharger sur Play StoreLes discours martiaux s'enchaînent sur la souveraineté dans le domaine numérique. Peter Altmaier, ministre
allemand de l'Economie, a lancé le 29 octobre le projet Gaia-X, présenté comme une étape vers la création
d'un « cloud souverain ». Il emboîte ainsi le pas à Angela Merkel, qui a déclaré : « L'Europe a besoin de son
propre cloud. »
Le numérique est une révolution d'une ampleur telle que personne ne peut sérieusement contester que la
puissance publique ait un rôle essentiel à jouer. A cet égard, la mobilisation rapide des gouvernements et des
banques centrales contre le projet de monnaie Libra doit être saluée. De même, le développement de
l'économie numérique pose bien des questions en matière d'infrastructures essentielles ou de sécurité, qui
légitiment l'intervention publique.
Pourtant, vouloir à tout prix faire du numérique un objet de souveraineté confronte à une série de risques et
de difficultés que les pouvoirs publics, soucieux de communication, semblent sous-estimer.
D'abord, c'est le plus évident, le retour du mauvais interventionnisme. Le risque est particulièrement grand,
au nom d'objectifs légitimes, que la souveraineté numérique fasse le lit d'un mauvais colbertisme, qui a coûté
si cher avec des résultats si médiocres. Evoquer, telle une rengaine, la création d'un « Airbus du numérique »
(dans l'IA, le cloud, etc.), oubliant ainsi les spécificités du secteur aéronautique, c'est passer à côté d'une
partie du sujet. Car les Gafam ne sont pas nés d'un bureau à Washington. Ils sont nés d'un écosystème
alliant recherche universitaire, esprit d'entreprise, et capacité du système financier à prendre des risques et à
accompagner leur développement. Là est le retard essentiel de l'Europe.
Ensuite un risque technique : essayer d'aller à marche forcée vers la souveraineté numérique, c'est
méconnaître l'ubiquité, de fait, du numérique. Qu'on le veuille ou non, comme le soulignait une analyse
récente de PwC, Microsoft Office est utilisé par plus de 96 % de la fonction publique allemande ! De la même
manière, le projet Gaia-X évoqué est, en l'état, irréalisable sans le soutien du mégaréseau des serveurs de
Microsoft et d'Amazon.
Il existe aussi un risque d'incohérence de la part des pouvoirs publics dans l'utilisation des outils dont ils
disposent. L'exemple du droit de la concurrence européen est assez emblématique. Les gouvernements
français et allemands ont ainsi critiqué avec une grande dureté le droit de la concurrence européen, quand,
sur son fondement, la Commission européenne a interdit la fusion Alstom-Siemens en février 2019. Ces
gouvernements ne peuvent pas, à l'inverse, se féliciter que les mêmes services mènent une offensive
continue contre les Gafam avec toutes les armes du droit de la concurrence (aides d'Etats, abus de position
dominante), sans éviter de tomber dans le « deux poids, deux mesures » que le président Obama lui-même
dénonçait déjà, avec des mots inhabituellement durs, en février 2015.
Enfourcher le cheval de la souveraineté, c'est ne pas comprendre que le numérique, par nature, est fluide et
décentralisé, comme l'atteste l'acronyme « www » (world wide web). Le vrai pouvoir, dans le numérique,
appartient très largement au consommateur. A cet égard, Facebook a sans doute plus à perdre si la
jeunesse américaine se détourne de lui que de l'action à la serpe des régulateurs. De même, les grandes
entreprises du numérique, aujourd'hui américaines, demain européennes ou chinoises, ne peuvent se
permettre de se mettre à dos les quelque 500 millions de consommateurs européens.
En définitive, penser « souveraineté », c'est penser « frontières ». Or où les placer ? Entre l'Europe et le reste
du monde ? Entre l'Europe et les Etats-Unis, qui partagent les mêmes valeurs démocratiques et de respect
de la liberté individuelle, d'une part, et le reste d'un monde, d'autre part ? Insidieusement, c'est aussi ouvrir la
boîte de Pandore des frontières intra-européennes au moment où l'esprit européen n'a jamais été aussi faible
dans l'Union européenne.
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