Les créateurs du bitcoin ont rêvé d'une monnaie libérée de l'emprise des États, mais la Chine communiste s'apprête à leur rendre la monnaie de leur pièce en accouchant d'une cryptodevise à sa main. Pendant que Facebook peine à lancer le libra, Pékin travaille activement à un « crypto-yuan », avec l'objectif de réconcilier technologie blockchain et mainmise étatique. Un oxymore pour les puristes de la Silicon Valley, une évidence pour un régime obsédé par le contrôle politique, sur le pays le plus peuplé de la planète. Stimulée par les ambitions de Mark Zuckerberg, la seconde économie mondiale a accéléré ses préparatifs cette année en vue du lancement d'une monnaie virtuelle, mais sous la houlette de la Banque centrale de Chine (PBOC). Des rumeurs ont même évoqué un lancement pour le 11 novembre, date du festival du commerce en ligne lancé par Alibaba, avant d'être démenties par la « Big Mama », comme on surnomme la PBOC. «  Nos recherches et développement sur la devise digitale ont accompli des progrès encourageants, mais nous n'avons pas de calendrier de lancement pour le moment  », a temporisé Yi Gang, le gouverneur de la première banque centrale du monde, le 24 septembre, lors d'une conférence de presse à Pékin. Les déboires du libra offrent un répit aux autorités chinoises, mais le projet demeure stratégique pour le régime, afin de préserver la mainmise sur son secteur financier et résister aux cryptodevises décentralisées venues d'Occident. «  Le yuan digital sera une monnaie virtuelle qui aura l'autorité de la monnaie légale, garantie par le gouvernement. Il sera créé par la banque centrale et on ne pourra refuser ses paiement s », explique Xi Junyang, professeur à la Shanghai University of Finance and Economics. «  Il remplacera à terme la monnaie électronique au quotidien  », ajoute le chercheur. Le premier marché en ligne du monde est déjà le plus avancé en matière de paiement électronique, grâce aux systèmes Alipay et WeChatpay développés par les géants technologiques Alibaba et Tencent. Plus de 600 millions de Chinois règlent leurs courses ou leur loyer d'une caresse sur leur smartphone grâce à l'application Alipay, offrant une mine de données précieuses au groupe d'e-commerce fondé par Jack Ma. Big Brother orwellien En fondant un « crypto-yuan », les autorités comptent reprendre la main sur un secteur de la FinTech à la croissance galopante, tout en renforçant son emprise sur sa population, et ses transactions. «  Il s'agit de la négation même du principe de cryptodevise, qui est à l'origine pensée pour libérer l'individu. En Chine, on assiste à une redondance dans le contrôle  », décrypte un spécialiste de la cybersécurité occidental, basé à Pékin. La Big Mamma risque de se muer en Big Brother orwellien, accédant à un puits de données sur les comportements de ses concitoyens, pointent les critiques occidentaux. Un débat sur la protection des données personnelle qui laisse de marbre la plupart des 1,3 milliard de Chinois qui louent la facilité du paiement mobile et font confiance à leur gouvernement. Le régime a pris la mesure de la menace posée par les cryptodevises, en les bannissant dès 2017. Il craignait qu'elles n'accélèrent la sortie de capitaux de Chine ou le recyclage de l'argent de la corruption, et n'affaiblisse le renminbi. «  Son développement risque de saper l'autorité de la monnaie légale, et le secteur financier pourrait devenir hors de contrôle et menacer le développement économique. C'est pourquoi le gouvernement réprimera le libra comme le bitcoin  », juge Xi Junyang.

Le futur crypto-yuan pourrait avoir des implications mondiales, en facilitant les transactions internationales, offrant une nouvelle dimension technologique à un objectif stratégique à long terme de Pékin : l'internationalisation du yuan, pour contrer le roi dollar. Mais les régulateurs devraient garder la haute main sur ce nouvel outil, même par-delà la grande muraille.